L’histoire de la danse orientale classique (appelée Raqs el sharqi dans les pays arabophones) met en évidence la rencontre entre orient et occident autour de ce point névralgique qu’est la Méditerranée. La danse orientale raconte l’histoire de ces peuples qui se regardent et s’admirent. elle n’est pas le fruit d’un seul arbre mais, un creuset, un lieu de connexion et de transformation perpétuel. Son art sillonne d’est en ouest et d’ouest en est comme la route de la soie et « l’aube est son nom. »*
Au début du XXe siècle, suite aux expositions universelles se développent dans les théâtres et dans les cabarets parisiens des spectacles influencés par la vue des Égyptiennes, des Indiennes et des Tziganes qui dansaient lors des fameuses expositions coloniales.
L’occident fasciné, imite les gestuelles « orientales ». Certaines danseuses s’imprègnent réellement des cultures indiennes ou orientales (voir le film Simki Paris-Delhi) alors que d’autres incorporent à leur show un orientalisme de façade souvent teinté d’allusion sexuelle (c’est le cas de Mata Hari ou de la romancière Colette).
En retour, au Caire dans les année 20, Badia Masabni considérée comme la grand-mère de la danse orientale, ouvre le premier music-hall qui s’inspire des cabarets européens. On y chante, danse, joue de la musique. Badia Masabni contribuera à faire évoluer les danses des Almées et des Ghawazees ( danseuses classiques et populaires en Egypte sous la domination ottomane) par l’ouverture et les ports de bras, les déplacements adaptés à la scène venus des ballets européens…
Dans les années 40/50, l’Égypte devient la plaque tournante du cinéma au Moyen Orient et produit comme Hollywood, de nombreuses comédies musicales.
Le métier d’actrice/danseuse se professionnalise. La culture est valorisée et on fait appel à de grands compositeurs et chanteurs pour écrire des musiques et accompagner des danseuses aux influences multiples: les pas des ballets russes, des comédies musicales américaines se mélangent aux danses populaires et aux danses égyptiennes (le baladi du Caire, les danses des paysans, des communautés tziganes, la danse classique mêlant influences arabo-andalouses et ottomanes…). Les grandes stars du cinéma égyptien, Tahia Carioca et Samia Gamal, sont issues de l’école de Badia Masabni. Même la légendaire Naima Akef est passé un temps par ses cabarets et a combiné son propre style issu d’une formation de circassienne à celui de la mentor.
Au début des années 60, les frères Reda fondent une troupe de danse et créent des chorégraphies qui combinent le style et les costumes des danses folkloriques égyptiennes avec le style des ballets russes et des comédies musicales américaines. Le style Reda va marquer profondément la culture égyptienne et le travail de tous les danseurs et enseignants depuis ne font évoluer le style, la technique et les méthodes d’enseignement issus de cette école.
Ce métissage artistique et culturel dans la région est aussi vieux que l’invasion musulmane durant laquelle les arts voyagèrent de Bagdad jusqu’à l’Espagne. Les tziganes, dont le parcours sillonne tous les pays entre l’Inde du nord ouest et l’Espagne depuis des siècles, contribuèrent eux, au brassage des danses et des musiques populaires.
Car, en effet, la danse et la musique sont différentes et ont leurs particularités selon qu’elles soient pratiquées par la haute société ou par les classes populaires. Alors que le peuple des campagnes continue à pratiquer des danses traditionnelles locales ou des variations de celles-ci sous l’influence des tsiganes (qui ont le merveilleux talent de réarranger à leur image les danses populaires des pays où ils s’établissent), la noblesse des villes du Maghreb et du Moyen Orient, se tourne vers les danses classiques (ottomanes, arabo-andalouses…) qui sont des évolutions des danses classiques d’Asie centrale.
On trouvait sous l’empire ottoman ( qui dura de 1299 à 1923), des femmes d’horizons divers qui cohabitaient dans les harems. La plupart étaient des femmes lettrées, musiciennes, poètes… Elles dansaient entre elles et pas du tout en représentation devant le sultan ou un public masculin comme l’imagerie dégradante issue de la colonisation l’a montré.
En effet, les écrivains occidentaux, voyageant par exemple en Egypte, et ayant un rapport au corps problématique marqué par des siècles de puritanisme religieux, ne rencontrèrent paradoxalement la danse que dans les lieux de prostitution. Tous les témoignages que l’on possède du XIXe siècle évoquent la danse uniquement dans ce contexte, non parce qu’elle n’existait pas ailleurs mais parce que ces voyageurs n’avaient pas accès ou ne s’intéressaient pas aux autres niveaux de la société (1).
Les grandes villes de l’empire ottoman avaient leurs cours, leurs palais et leurs harems. Enfermées dans ce milieu carcéral si particulier, ces femmes oisives, venues de toutes la Méditerranée et l’Asie centrale, n’avaient d’autres préoccupations que l’art et les intrigues politiques. Elles amenèrent avec elles les musiques, les poésies et les danses qui se sont rencontrées et parfois mélangées de sorte qu’aujourd’hui il existe tout un répertoire musical revendiqué à la fois par les Egyptiens, les Grecs et les Turcs.
Au Maghreb, les danses et musiques des réfugiés andalous juifs et musulmans rencontrèrent les danses et musiques ottomanes ainsi que les danses et musiques locales berbères. Le mélange entre les musiques savantes arabo-andalouses et les musiques berbères donna par exemple en Algérie la musique chaabi.
En Egypte, à cette époque de domination ottomane, on rencontrait la même différence entre les danses populaires et les danses de la noblesse. Dans les palais et les maisons de haute naissance, la danse classique était pratiquée par les Almées, femmes cultivées à la fois poétesses, musiciennes et danseuses, alors que dans les rues et les fêtes populaires on trouvait des danseuses d’origine tzigane, les Ghawazees.
Dans les palais de Turquie se rencontraient des femmes italiennes, arméniennes, tziganes, iraniennes…
On faisait venir des groupes de musiciennes et danseuses. Les femmes qui dansaient uniquement pour d’autres femmes étaient appelées çengi. Elles commençaient à s’entrainer vers l’âge de 6 ans et étudiaient la danse et la musique pendant 7 ans. Elles étaient recrutées parmi les personnes non musulmanes: tziganesRroms, Grecques, Arméniennes, Juives… Leur danse appelée köçek oyunu (du nom köçek porté par leurs pendants masculins qui dansaient à l’époque déguisés en femmes pour un public d’hommes) mêlaient des gestuelles arabes, grecques,assyriennes et kurdes. Leur répertoire musical mélangeait des rythmes et mélodie soufi, anatoliens et balkaniques.
Les anciennes formations musicales classiques uniquement féminines composées de musiciennes et danseuses se trouvent encore aujourd’hui en Algérie et au Maroc dans les ensembles arabo-andalous.
Devenu un art scénique depuis les années 40, la danse orientale mêle toutes ces composantes culturelles, toutes les classes sociales. La danseuse se doit de maîtriser à la fois la danse classique et les danses populaires. Elle va mettre en valeur plutôt tel ou tel aspect selon son degré de culture, ses origines ou ses affinités.
Aujourd’hui, l’histoire de la danse orientale continue et le monde entier danse « oriental ». Le Japon, les Etats-Unis, l’Amérique du Sud, tous les pays d’Europe ont leurs grandes danseuses, leurs enseignantes et leurs milliers d’élèves. Toutes fascinées par ce que cette danse évoque, ce que cette danse raconte de la féminité et peut-être aussi de la rencontre entre les peuples. Chacun la tire vers sa culture, au risque de tellement s’éloigner des sources qu’on ne la reconnaisse plus. Au risque qu’elle devienne une pratique corporelle vide de sens et de culture, perdue dans une imagerie de femmes objets décérébrées, ou salie par une image licencieuse. Au risque (mais est-ce vraiment un risque) de se réinventer de nouveaux codes. (Aux Etats-Unis la danse orientale a évolué de telle sorte qu’elle est presque devenue une nouvelle danse. A l’image de ce pays, l’ATS et la danse tribale mixent tous les répertoires musicaux tous les vocabulaires gestuels du Maghreb, du Moyen Orient et d’occident).
Le style issu de l’époque de Badiha Masabni fait aujourd’hui des milliers d’ adeptes. Le raqs el sharqi égyptien (ou style Cairo hollywoodien) a beaucoup évolué depuis les comédies musicales des années 40 mais il reste le style le plus prisé partout dans le monde. La culture n’étant plus la priorité du gouvernement égyptien, les danseuses actuelles qui restent de grandes artistes luttent chaque jour pour continuer à exister (2).
En Europe parallèlement et par opposition à celui-ci, des danseuses développent un style qui mêle danse contemporaine et danses traditionnelles du Maghreb et d’Egypte. Beaucoup plus épuré avec un gros travail de conscience corporelle venu de la danse contemporaine il empreinte également à celle-ci pas mal de postures, attitudes et déplacement venus remplacer ceux dérivés des danses jazz et classiques occidentales utilisés dans le raqs el sharqi
Pour ma part, j’ai choisi comme les Cengi de l’époque ottomane de marier les danses de Méditerranée et les influences d’Asie centrale pour nourrir ma danse orientale de style classique et j’essaye par ailleurs d’étudier et de transmettre chaque style de danse populaire précisément. J’ai été fortement marquée par la rencontre avec Mélisdjane Sézer qui recherche continuellement ce fil magique reliant les danses du Maroc à l’Inde du Nord ouest en passant par un lieu inattendu (mais ô combien riche musicalement): Zanzibar.
Mais quelle que soit la voie choisie par les danseuses du monde entiers, nous essayons toutes à notre façon de faire vivre et grandir un art(bre) aux racines profondes et aux branches tendues vers l’universel.
* « L’aube est son nom » Adonis
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Bibliographie
- (1) http://www.tiensetc.org/la-belle-danseuse-du-ventre-ou-un-amour-de-flaubert-et-d-a-dulk-a643909
- (2) Ma liberté de danser. Dina. Edition Michel Lafon
- Les danses dans le monde arabe ou l’heritage des almees D. Henni-Chebra (Auteur), C. Poche (Auteur) – broché. Paru en 05/2000
- Serpent of the Nile: Women and Dance in the Arab World de Wendy Buonaventura
- Les Mille et une danses d’Orient / [Livre] / Wendy Buonaventura; trad. de l’anglais par Christiane Clemencin
- Gypsies in the Ottoman Empire: Volume 22: A Contribution to the History of the Balkans (Interface Collection)
- Présentation d’une étude sur l’influence des gitans dans la culture musicale égyptienne :http://egyptiancentermakan.files.wordpress.com/2012/07/musique_gitane_fr.pdf
- Harems, mythe et réalité [Livre] / Altan Gokalp
- Les danses sacrées Egypte ancienne, Israël, Islam, Asie centrale, Inde, Cambodge, Bali, Java, Chine, Japon
- Introduction à la danse orientale [Livre] : pratique du mouvement spiral / Virginie Recolin
- Les danses exotiques en France. Anne Décoret-Ahiha
- Musiques 03: une encyclopédie du XIXesiècle. Musiques et cultures sous la directionde Jean-Jacques Nattier.collab.de Margaret Bent Rossana Dalmonte et Mario Baroni
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Before They Were Belly Dancers: European Accounts of Female Entertainers in Egypt, 1760–1870 Kathleen W. Fraser
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A Trade like Any Other: Female Singers and Dancers in Egypt de van Nieuwkerk, Karin